Diébédo Francis Kéré incarne une vision révolutionnaire de l’architecture, où durabilité, participation communautaire et justice sociale se rencontrent. Premier Africain à recevoir le prestigieux Prix Pritzker en 2022, Kéré a transformé son expérience d’une enfance sans école ni électricité en une mission : concevoir des espaces qui améliorent la vie des communautés marginalisées.
De l’école primaire de Gando, construite avec des briques d’argile par les villageois, au Serpentine Pavilion de Londres, ses projets allient matériaux locaux, techniques innovantes et un profond respect pour l’environnement et les cultures. Ce portrait explore le parcours inspirant de Kéré, de ses origines modestes à son influence mondiale, révélant comment il redéfinit l’architecture comme un outil d’empowerment et de cohésion sociale.
Origines et Enfance à Gando
Diébédo Francis Kéré est né en 1965 à Gando, un petit village de 3000 habitants situé dans le centre-est du Burkina Faso, l’un des pays les plus pauvres au monde selon l’Indice de Développement Humain des Nations Unies en 2011. Fils aîné du chef du village, il grandit dans un environnement dépourvu d’eau courante, d’électricité et d’infrastructures éducatives. À l’âge de sept ans, poussé par le désir de son père de le voir apprendre à lire et écrire, Kéré est envoyé à Ouagadougou, la capitale, pour poursuivre sa scolarité. Là, il fait face à des conditions difficiles, étudiant dans des salles de classe surpeuplées, mal ventilées et mal éclairées, une expérience qui marquera profondément sa vision de l’architecture. Ces premières années forgent son engagement pour améliorer les conditions de vie et d’apprentissage des communautés marginalisées.
Formation et Débuts en Allemagne
Après avoir terminé ses études secondaires, Kéré devient charpentier, une première étape vers une carrière technique. En 1990, à l’âge de 25 ans, il obtient une bourse de la Carl Duisberg Society pour un stage en Allemagne, à Berlin. Cette opportunité marque un tournant décisif. Il passe son baccalauréat et s’inscrit à l’Université Technique de Berlin, où il obtient son diplôme d’architecture en 2004. Pendant ses études, il reste profondément attaché à son village natal, Gando, et à l’idée de contribuer à son développement. En 1998, il fonde l’association Schulbausteine für Gando (Briques pour l’école de Gando), qui vise à financer la construction d’une école primaire dans son village. Cette initiative, motivée par le délabrement de l’école locale, devient le point de départ de sa carrière et de son approche unique de l’architecture participative et durable.
Philosophie Architecturale : Durabilité et Participation Communautaire
Le travail de Kéré se distingue par son engagement pour une architecture contextuelle, durable et collaborative. Il privilégie les matériaux locaux, comme l’argile et la latérite, et des techniques adaptées aux climats rigoureux, notamment celui du Burkina Faso, où les températures peuvent atteindre 45°C. Ses conceptions intègrent des systèmes de ventilation naturelle, des toits surélevés et des murs en terre comprimée pour maintenir des intérieurs frais sans dépendre de l’électricité. Kéré rejette les modèles architecturaux occidentaux inadaptés aux contextes africains, comme le béton, coûteux et énergivore. Au lieu de cela, il modernise les techniques traditionnelles, par exemple en renforçant l’argile avec 10 % de ciment pour améliorer la solidité des briques.
Son approche participative est tout aussi distinctive. Kéré implique les communautés locales dès la conception des projets, formant les habitants aux techniques de construction pour leur permettre de maintenir et de répliquer les bâtiments. Cette démarche renforce l’autonomie, crée des opportunités économiques et favorise un sentiment d’appartenance. Comme il le souligne : « Ce n’est pas parce que vous êtes pauvre que vous n’avez pas droit à la qualité. » Cette philosophie, centrée sur la justice sociale et l’écologie, lui vaut une reconnaissance internationale.
Projets Phares
École Primaire de Gando (2001)
Le premier projet de Kéré, l’école primaire de Gando, est une réalisation emblématique. Construite avec des briques de terre comprimée et un système de ventilation naturelle, elle répond aux besoins climatiques locaux tout en restant économique. Les villageois, y compris les femmes et les enfants, participent activement à la construction, transportant l’argile et apprenant des techniques modernes. Achevé en 2001, ce projet remporte le Prix Aga Khan d’Architecture en 2004, saluant sa beauté et son impact social. En 2003, face à l’augmentation des inscriptions, Kéré conçoit une extension, affinant ses techniques de construction durable.
Serpentine Pavilion, Londres (2017)
En 2017, Kéré devient le premier architecte africain à concevoir le pavillon temporaire de la Serpentine Gallery à Londres, une commande prestigieuse confiée à des architectes de renom comme Zaha Hadid ou Jean Nouvel. Inspiré par l’arbre à palabres de Gando, un lieu de rassemblement communautaire, le pavillon adopte une structure ouverte avec quatre points d’entrée menant à une cour centrale. Le toit en porte-à-faux protège du soleil tout en laissant circuler l’air et l’eau de pluie, symbolisant la rareté de cette ressource. Ce projet démontre la capacité de Kéré à appliquer ses principles dans un climat tempéré, élargissant la portée de son architecture.
Xylem, Tippet Rise Art Center, Montana (2019)
Le projet Xylem, achevé en 2019 dans le parc national de Yellowstone, illustre l’adaptabilité de Kéré. Construit avec des rondins de bois locaux issus d’un élagage responsable, ce centre artistique s’intègre harmonieusement au paysage. Sa canopée ondulée, inspirée des tugunas burkinabés (espaces ventilés traditionnels), protège du soleil tout en offrant un refuge calme. Ce projet montre comment Kéré transpose ses principes écologiques et communautaires à un contexte occidental.
Centre de Santé et de Promotion Sociale, Léo (2014)
À Léo, au Burkina Faso, Kéré conçoit un centre médical géré par l’organisation Operieren in Africa. Les bâtiments, faits de blocs de terre stabilisée, intègrent un système de double-parois pour la ventilation et un toit en tôle ondulée pour récupérer l’eau de pluie. Ce projet, qui favorise les échanges médicaux et l’accès aux soins, reflète l’engagement de Kéré pour des infrastructures pratiques et durables.
Mémorial Thomas Sankara, Ouagadougou (en cours)
Ce projet ambitieux, dédié à l’ancien président burkinabé Thomas Sankara, s’étend sur 10 000 m² et culmine à 87 mètres, un hommage à l’année de son assassinat (1987). Toujours en cours en 2022, il incarne la vision afro-futuriste de Kéré, mêlant symbolisme, durabilité et engagement communautaire.
Autres Projets Notables
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Lycée Schorge, Koudougou (2016) : Construit avec des pierres locales et des toits surplombants, ce lycée favorise la ventilation naturelle et l’intégration culturelle.
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Startup Lions Campus, Turkana, Kenya (2021) : Inspiré des nids de termites, ce campus forme 200 jeunes aux technologies de l’information, répondant au chômage local.
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Kamwokya Community Playground, Kampala, Ouganda (2022) : Un espace sportif et de loisirs conçu avec des matériaux locaux pour renforcer la communauté.
Reconnaissances et Impact
En 2022, Kéré devient le premier Africain à recevoir le Prix Pritzker, la plus haute distinction en architecture, pour son « engagement pour la justice sociale » et son utilisation innovante des matériaux locaux. Il avait déjà été récompensé par le Prix Aga Khan (2004) pour l’école de Gando et le Global Holcim Award for Sustainable Construction (2012). En 2024, il reçoit un Crystal Award au Forum économique mondial pour son impact social.
Kéré a également enseigné dans des institutions prestigieuses comme Harvard, Yale, et l’Université Technique de Munich, où il occupe la chaire d’Architecture et Participation depuis 2017. Son influence s’étend au-delà de l’architecture, inspirant une nouvelle génération à repenser le rôle de l’architecte comme un agent de changement social.
Engagement et Vision
Kéré reste profondément attaché à Gando, qu’il considère comme son « laboratoire » technique et social. Il rêve de créer une école d’architecture en Afrique pour former des talents locaux, réduisant la dépendance aux modèles occidentaux. Ses projets, réalisés dans des pays comme le Mali, le Togo, le Kenya, les États-Unis, ou le Royaume-Uni, incarnent une vision d’« villes cohérentes et paisibles » où l’architecture sert les besoins humains tout en respectant l’environnement.
Comme il le déclare : « L’architecture doit unir et inspirer, tout en dialoguant avec la communauté, l’écologie et l’économie. » Son parcours, d’un village sans école à une reconnaissance mondiale, illustre une trajectoire exceptionnelle marquée par la résilience, l’innovation et un engagement indéfectible pour les communautés marginalisées.
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